Et père il colle au zoo ce porc Jerzy. Si vous comprenez ce calembour, c’est soit que vous avez lu Gotlib, soit que vous avez voyagé à l’époque où l’on pouvait encore ouvrir les fenêtres des trains. Sous celles-ci étaient apposés ces petits messages d’avertissement en différentes langues :
Le bédéiste Gotlib, Marcel de son prénom, a imaginé une histoire de cochon s’appelant Jerzy, de zoo… en référence à la phrase en italien « È pericoloso sporgersi » (prononcer « et père i' colle au zoo… »). J’espère que les héritiers de l’artiste, que j’admire beaucoup, ne m’en voudront pas de la partager. La voici :
Dans le cadre de l’atelier d’écriture, j’ai eu l’occasion d’imaginer une suite à cette histoire. C’est avec plaisir que je la reproduis ci-après.
Le cochon qui voulait devenir homme
Le parc était très animé depuis l’arrivée de Jerzy, tous les enfants voulaient le voir ! Moi, j’étais déjà grand, mon père était le gardien du petit zoo, que l’on appelait le parc animalier ; nous habitions sur place, une maison bâtie à côté de l’enclos des daims. Ce que je vais vous raconter, je l’ai vu de mes yeux et entendu de mes oreilles.
Jerzy, c’était un cochon, pas vraiment le genre d’animal que l’on met dans un zoo. Quand il était encore bébé, il avait été offert comme cadeau de Noël à un petit garçon du voisinage, Marcel. Mais offrir un animal, ce n’est jamais une bonne idée. Les mois ayant passé, la maison des parents de Marcel s’était avérée bien trop petite pour un cochon devenu adulte. Comme le gamin y était très attaché, ces braves gens n’avaient pas voulu le vendre à une ferme pour qu’il finisse en jambons. Alors, le père nous l’avait amené, en nous proposant un généreux prix de pension et, en échange, le garçon pouvait venir le voir tous les jours.
Jerzy allait et venait en liberté autour de notre maison. Il était habitué aux humains et se laissait approcher, caresser, grattouiller par tous les enfants. Les entrées du parc ont explosé avec l’arrivée du plus banal de ses pensionnaires ! Mais le cochon était souvent pensif. Il aurait voulu être humain, lui aussi, et discuter avec ses visiteurs. Il s’était lié d’amitié avec un corbeau, je crois qu’il s’appelait Mélane ou quelque chose comme ça. Comme l’oiseau était très sage, il voulut raisonner son ami : « Mon cher Jerzy, les hommes sont tourmentés par des tracas que tu n’imagines même pas. Sais-tu que beaucoup parmi eux doivent prendre des médicaments pour dormir, tellement leur vie est difficile ? Tiens, écoute ce qu’a écrit l’un d’entre eux, un certain Antoine de Saint-Exupéry : ‘Si tu n’as pas ce que tu aimes, il faut aimer ce que tu as’
- Aimer ce que j’ai, ce parc pour seul horizon, toujours les mêmes étoiles au-dessus de ma tête, toujours le même soleil ?
- Il y a pire, dis donc, si tu savais… »
Les jours suivants Jerzy insista tant et si bien que le corbeau Mélane finit par céder. « Jerzy, écoute-moi bien, dit-il. Je connais un charme pour te faire devenir humain. À 23 heures 46 minutes 52 secondes très précisément, il faudra qu’un chat se frotte à ta patte arrière gauche en ronronnant et qu’un canard se pose sur ton épaule droite en cancanant. Mais attention, on doit être très précis et les animaux doivent arriver exactement en même temps pour que le charme opère. Si l’on parvient à réunir ces conditions, tu deviendras un jeune homme, vêtu simplement d’un pantalon, d’une chemise et d’un pullover. » Jerzy n’y croyait pas, tout cela semblait bien compliqué, car on n’a jamais vu un canard voler aux côtés d’un chat. Cependant, il n’avait pas le choix. Aussi, à l’heure dite au centième de seconde près, le corbeau lança le cri convenu. Un chat se frotta aussitôt contre lui, à gauche, en faisant ron-ron, tandis qu’un colvert se percha sur son épaule droite en faisant coin-coin. Il y eut un coup de tonnerre, un éclair. Moi, j’ai suivi la scène depuis la fenêtre de ma chambre et, soudain, j’ai vu un garçon, avec un gros matou et un palmipède qui prirent la fuite sans demander leur reste.
Jerzy remercia Mélane et alla se coucher, mais il ne put trouver le sommeil. La paille de sa couche lui parut vraiment très dure et il trouva son étable, pourtant bien propre, d’un confort plutôt sommaire pour le grand adolescent qu’il était. Le lendemain, il se fondit dans la foule, mais constata que tout le monde cherchait Jerzy le cochon – et même, la gendarmerie fut appelée à la rescousse. On fit surveiller de près les charcuteries de la région et confisquer aux tueurs d’abattoirs leurs matadors, qui sont des révolvers conçus pour cet usage. Le cochon devenu homme eut beau parcourir les allées remplies de monde, personne ne pensa à le caresser ni à le gratouiller.
Vers le milieu de la matinée, Jerzy se rendit compte qu’il avait très faim. Aucun enfant ne lui avait donné de friandises comme les autres jours. Il alla à la boulangerie du zoo et demanda un croissant. « C’est deux francs cinquante, dit la boulangère.
- Comment ? Mais je n’ai pas d’argent sur moi.
- Pour acheter des croissants, il faut de l’argent, dit la commerçante en le dévisageant avec mépris.
- Et pour avoir de l’argent, comment faut-il faire ?
- Il faut travailler, bien sûr !
- Et pour travailler, comment doit-on s’y prendre ?
- Il faut mettre quelque chose d’un peu plus élégant que cette tenue, aller voir un patron et lui donner un papier qui résume tout ce que vous savez faire. Mais attention, bien présentée et bien dactylographiée, la feuille. Allez, jeune homme, j’ai d’autres clients ! »
Jerzy commença à comprendre pourquoi le corbeau lui avait dit que la vie des humains était difficile. Mais il n’était pas au bout de ses surprises pour autant. Au détour du chemin, il rencontra le petit Marcel, son ami de toujours. Il courut vers lui, frotta sa joue contre celle de l’enfant en grognant de bonheur, comme il le faisait chaque jour. Le garçonnet fut d’abord très surpris, puis soudain son visage s’illumina d’une joie sans nom. C’est là que l’on entendit un cri d’effroi. C’était sa maman qui, ce jour-là, accompagnait son fils car c’était un dimanche. Elle prit Marcel dans ses bras et s’élança vers la maison du gardien du parc, c’est-à-dire de mon père. « Au secours, souffla-t-elle toute haletante, un individu vient d’agresser mon fils, il a essayé de l’embrasser, appelez les gendarmes ! »
Sacrée journée pour les gendarmes, qui étaient déjà, rappelons-le, à la recherche d’un cochon. Ils emmenèrent Jerzy pour l’interroger. Comme Jerzy ne connaissait finalement pas grand-chose au monde des humains, ils le prirent pour un jeune simplet en mal d’affection, lui firent une sévère leçon de morale et le relâchèrent. Le grand garçon attendit la nuit, se posta devant l’entrée du zoo et appela son ami Mélane pour le supplier de le faire redevenir cochon. La suite, vous la devinez. On attendit 23 heures 46 minutes et 52 secondes, le chat vint cette fois se frotter contre sa jambe droite, le canard se poser sur son épaule gauche, il y eut un coup de tonnerre et un éclair. Au petit matin, Jerzy, revenu à sa forme porcine, se présenta à la porte du zoo comme si de rien n’était. Son étable bien entretenue et le parc tout en fleurs lui semblèrent un paradis et, enfin, il se mit à apprécier sa vie de mascotte des enfants.
« Tu te rappelles, lui dit le corbeau Mélane, si tu n’as pas ce que tu aimes, il faut aimer ce que tu as. Eh bien, on pourrait ajouter ‘Si tu n’es pas ce que tu aimes, il faut aimer ce que tu es.’ » Jerzy comprit l’utilité de ce proverbe et la leçon lui fut très profitable.
Images empruntées ici et là : https://www.pinterest.fr/pin/529947081127343473/ ; https://vraiefiction.blogspot.com/2014/12/et-pere-y-colle-au-zoo-ce-porc-jerzy.html . Je ne retrouve plus le site de la photo du charmant petit cochon. Si vous en êtes l’auteur, faites-moi signe pour que je rende à César ce qui appartient à César.